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Episode 2

L'abandon


-        Pourquoi me faites-vous ça docteur ? Pourquoi mentez-vous ?

Théora était désespérée après avoir reçu la confirmation du médecin. Elle hurlait et accusait le médecin de mentir à son sujet. Même si elle savait la vérité, elle ne pouvait pas se résoudre à l’accepter. Quant à la mère, elle n’arrivait pas à dire un mot mais si ses lèvres semblaient peser des tonnes, ses mains étaient bien légères. Rouant sa fille de grands coups, elle la traina jusqu’à leur maison.

-        Ta fille nous a tué, hurla la femme en arrivant à la maison. Cette petite folle nous a tué, elle nous a déshonoré.

-        C’est donc vrai, réalisa tristement le père. Comment as-tu pu me faire ça Théora ? Comment as-tu pu ?

-        Je vais t’expliquer papa, essaya-t-elle de prononcer dans sa douleur.

-        Tu ne vas rien m’expliquer. Qui est le père ? Qui est le père de ce bâtard ? Ne m’oblige pas à répéter ma question.

-        C’est Kévin, le jardinier.

-        Je suis maudit, je suis maudit. Les dieux ne m’ont jamais dit que ma mort allait venir de ma propre fille. Tu te rends compte de la gravité de ce que tu as fait ? Qui voudra t’épouser après ça ? Qui voudra d’une femme impure ? Le maire ne voudra plus de toi, les gens ne feront plus que parler de nous et moi les portes du paradis me seront fermées à tout jamais. Pourquoi fallait-il que tu te laisses souiller par cet homme ?

-        Il a abusé de moi papa.

-        Il a abusé de toi ? Demanda Samou en se rapprochant de sa fille. Tu es en train de me dire qu’il t’a violé c’est ça ? C’est ce que tu me dis ?

-        Oui papa, je te jure que c’est vrai.

-        Tu me prends pour un idiot c’est ça ? Tu l’as envoyé ici pour demander ta main et comme ça n’a pas marché tu as mis cette stratégie en place ?

-        Non papa.

-        C’est très bien, tu as gagné. Dès aujourd’hui tu vas prendre tes affaires et aller vivre chez lui.

-        Ne me fais pas ça papa, je suis amoureuse de Sévérin.

Le vieux Samou ne réfléchit pas deux fois avant d’enlever sa vieille ceinture et de battre sa fille jusqu’à ce qu’il soit à bout de force.

-        Je n’en ai pas fini avec toi mal élevée.

En très peu de temps la nouvelle de la grossesse de Théora avait fait le tour du village et était devenue le sujet de discussion principal dans le village. Théora ne pouvait plus sortir de chez elle sans qu’on ne la montre du doigt et c’était pareil pour son père. Tout le monde se moquait du vieil homme et de sa famille. D’autres disaient même que c’était sa punition pour avoir voulu se montrer malin en refusant de marier sa fille à un âge moins avancé. Evidemment les parents de Sévérin n’étaient plus revenus et avaient informé leur fils de ce qui se passait dès son retour.

Un matin alors que le vieux Samou revenait de son champ, il croisa le père de Sévérin et s’arrêta pour lui parler.

-        Je vous ai espéré la semaine dernière, avait-il désespéramment affirmé.

-        C’est à moi que vous comptez vendre votre poisson pourri ? Qui voudrait épouser une fille déshonorée et impure ? Voulez-vous que le malheur s’abatte sur ma sainte famille ?

-        Je vous en conjure, ne la rejetez pas. Nous allons trouver le moyen de la débarrasser de cette grossesse.

-        Si nous n’avions pas été amis un jour, je vous aurai serré le cou pour avoir osé m’insulter de cette façon. Mon fils est le meilleur parti de ce village alors il est hors de question qu’il épouse une fille qui ne vaut rien. Votre fille est une prostituée. Si vous voulez un conseil, mariez-la vite à l’homme qui l’a mis enceinte avant que son ventre ne commence à se voir et que les dieux nous maudissent tous. Vous savez très bien qu’une femme enceinte non mariée attire le mauvais œil.

Toute la famille de Théora était désespérée et la vie de la jeune fille était devenue un enfer. Ses parents l’insultaient et la battaient pour un rien. Pire, depuis son retour, Sévérin n’avait pas cherché à la voir. Elle sentait pourtant un grand besoin de lui parler et de lui expliquer les choses. Un soir alors que ses parents dormaient, elle sortit en douce de la maison pour se rendre chez Sévérin. Elle avait eu la chance de le trouver assis devant son portail. Elle ne risquait pas ainsi de sonner et de se faire renvoyer par les parents de ce dernier.

-        Tu n’as rien à faire ici, affirma Sévérin en se levant pour se diriger vers sa porte.

-        Je t’en prie ne me tourne pas le dos, supplia-t-elle en larmes. Tout le monde peut le faire mais pas toi.

-        Je ne te dois rien et tu ne manques pas de culot de venir ici pour me dire ce que je dois faire ou non.

-        Tu dois m’écouter. Laisse-moi t’expliquer les choses.

-        Que vas-tu m’expliquer ? Je ne veux pas entendre un seul mot venant de toi. Tu m’as déçu, tu m’as blessé de la pire des façons. Que n’ai-je pas fait pour toi Théora ? Je t’ai respecté, je me suis comporté en gentleman, je t’ai ouvert mon cœur et j’étais prêt à faire de toi ma femme. Je te pensais sincère mais non. Toi qui ne faisais que me parler d’honneur et de dignité, dis-moi Théora, où est passé ton honneur ? Où est passé ta dignité ? Qu’est-ce qu’il a de plus que moi ce jardinier ?

-        Je t’en supplie écoute-moi.

-        Je ne veux pas t’écouter, je ne le veux plus. Va épouser ton jardinier et soyez heureux. Combien de fois m’as-tu répété que tu m’aimais ? Si tu étais si incapable de retenir tes envies, pourquoi ne m’en as-tu pas parlé à moi ? Toi tu as préféré me refuser d’embrasser ta main pour aller te donner toute entière à ce vaurien.

-        Assez, cria Théora en collant une gifle à Sévérin avant de fondre en larme. Cesse de m’insulter comme ça.

-        Je vais rentrer me coucher.

-        Non tu vas rester et m’écouter. Tu me connais mieux que ça Sévérin, tu sais mieux que personne que je n’aurai jamais pu faire ce dont on m’accuse. C’est pour toi que je suis sortie cette nuit-là. J’ai pris ce risque énorme parce-que je mourais d’envie d’aller te retrouver. Comment aurais-je pu savoir que dans ces champs cet homme allait m’agresser et détruire ma vie ? Comme aurais-je pu le savoir ? Cette nuit-là j’ai su que plus rien ne serait pareil, j’ai compris que ma vie venait juste de s’arrêter. Je n’en peux plus de tout ça. Chaque jour on m’invente un nouveau nom et personne ne veut m’écouter, personne ne veut me croire ou me comprendre et pourtant je suis celle qui a le plus mal dans cette histoire. J’ai perdu ma famille, mon honneur, j’ai perdu l’homme de ma vie.

-        Je te jure que je vais le tuer Théora, promit Sévérin les yeux rouges de colère, l’un de nous deux va mourir ce soir.

Sévérin n’avait pas attendu un mot de plus, il avait ramassé le premier bâton qu’il avait trouvé sur son chemin et avait pris la direction de la maison du jardinier. Théora était morte de peur et ne savait plus que faire. Elle le suppliait de ne pas faire une bêtise mais le jeune maire était devenu fou et sourd. Théora n’eut d’autres choix que de crier à l’aide et d’aller réveiller les parents de Sévérin qui prirent la route derrière lui. Une fois chez le jardinier, Sévérin frappa à la porte de toutes ses forces. Quand l’homme lui ouvrit, il lui donna le premier coup à l’épaule.

-        Lève-toi et viens te battre avec un homme comme toi pauvre lâche sans cœur. Tu vas regretter d’avoir posé tes mains sur ma fiancée.

-        Cette fille est à moi, répondit Kévin.

-        Elle est à toi ?

Sévérin enchaina les coups et Théora ne cessait d’hurler. Personne n’arrivait à le convaincre d’arrêter. On avait beau répété à Sévérin qu’il risquait la prison ou même son titre mais il ne voulait rien entendre. Il le frappait comme s’il allait le tuer.

-        Répète qu’elle est à toi, cria Sévérin. Dis-le encore si tu es un homme.

Quand Sévérin remarqua que Kevin avait commencé ç cracher du sang, il balança le bâton et reprit le chemin de sa maison. Théora se laissa tomber au sol et pleurait toutes les larmes de son corps. Elle n’avait jamais fait face à autant de violence depuis qu’elle était née mais depuis un moment, sa vie avait pris une tournure dramatique.

Son père avait été prévenu de ce qui se passait par les voisins et il était venu retrouver sa fille dans la maison du jardinier le même soir.

-        C’est bien que je vous trouve ici tous les deux, affirma le vieux Samou en arrivant chez Kevin avec un sac en main. Dès aujourd’hui vos vies sont liées. Je vous donne ma bénédiction. Epouse-la mais que je ne revois plus jamais la silhouette de cette enfant franchir l’entrée de ma demeure. Tu la voulais pour femme, je te la donne.

-        Ne me fais pas ça papa, laisse-nous du temps. Si ça se trouve Sévérin va revenir sur sa décision.

-        Son père a été clair, il ne veut pas de toi et moi non plus.

Les mois qui avaient suivi avaient été les plus difficiles de la vie de Théora. Vivre avec un homme qu’elle détestait du plus profond de son cœur et voir grandir en elle le fruit d’un viol qui lui a tout pris. Depuis que son père l’avait condamné à cette vie, elle n’avait plus parlé à Sévérin. Ils s’étaient souvent croisés mais le jeune maire n’avait jamais voulu lui adresser un mot.

Le moment de donner naissance à son enfant arriva enfin et elle fut conduite à l’hôpital en ville par Kévin. Théora avait toujours répété qu’une fois l’enfant né, elle le laisserait à Kévin pour partir vers un village voisin. L’accouchement de Théora avait été une autre épreuve pour elle. Elle avait accouché par césarienne et le travail avait fait face à de nombreuses complications. Elle s’était réveillée après trois jours dans le coma et on lui présenta ses jumeaux. Deux magnifiques garçons qu’elle refusa d’approcher.

-        C’est bien que tu sois réveillée, affirma Kévin qui attendait son réveil dans la salle d’hospitalisation. Tu as donné naissance à des jumeaux. Nous avons deux fils Théora.

-        Ces enfants ne sont pas les miens, qu’on les éloigne de moi.

-        Il faut que tu les nourrisses.

-        Je ne veux pas qu’on approche ces enfants de moi. Je ne veux surtout pas que toi tu t’approches de moi. Prends tes enfants et emmène les loin car tu ne me verras plus jamais.

-        Avant de dire des choses pareilles il faut que tu saches que ce sont les seuls enfants que tu auras de ta vie. Il y a eu des complications pendant l’accouchement et on a dû choisir de sauver les enfants.

-        Je ne comprends pas.

-        Tu ne pourras plus jamais avoir d’autres enfants. Ton utérus a été endommagé.

-        Tu me racontes des mensonges.

-        Ne me crois pas si tu veux. D’ici un moment le docteur va entrer pour te dire la même chose. Que tu le veuilles ou non, tu n’accoucheras jamais d’autres enfants que les miens alors réfléchis bien avant de les abandonner.

-        Je n’en veux pas, s’alarma Théora.

-        Je sais que ce n’est pas facile pour toi mais attends au moins d’être rentrée pour prendre la décision. De toute façon toutes tes affaires sont chez moi.

Quelques jours après Théora avait pu quitter l’hôpital pour retourner au village avec Kévin et les jumeaux. Elle n’était pas revenue sur sa décision même après la confirmation du docteur. Elle voulait partir pour ne jamais revenir et rien ne pouvait l’en dissuader. Kévin s’occupait tout seul des enfants et les nourrissait de lait qu’il achetait à la pharmacie.

Le soir alors qu’elle faisait un dernier tour dans le village, elle croisa Sévérin. Cette fois, elle ne partit pas sans dire mot.

-        C’est sans doute la dernière fois que tu me vois, l’informa-t-elle. Je quitte le village ce soir.

-        J’espère que tu feras bon voyage, répondit Sévérin.

-        C’est tout ce que tu as à me dire ?

-        Que veux-tu que je te dise d’autre ?

-        J’ai beaucoup de rancœur envers les gens de ce village mais tu es celui qui m’a le plus déçu. Tu n’as pas bougé le petit doigt pour me venir en aide. Toi qui disais m’aimer.

-        Je t’ai aimé de tout mon cœur ou plutôt je t’aime de tout mon cœur mais tu as fait tes choix toute seule. Tu as choisi de rester avec lui.

-        Tu ne m’as jamais demandé de venir avec toi.

-        Même si je ne l’ai pas fait, la femme digne que tu te proclamais aurait dû préférer la rue au domicile de son violeur. J’ai failli tuer un homme et détruire ma carrière pour défendre ton honneur mais toi tu es retournée dans les bras de cet homme le soir même. Si tu penses que je t’ai déçu, dis-toi que c’est réciproque.

-        Tu es orgueilleux Sévérin et si tu ne changes pas, ton orgueil va te perdre. Toi seul aurais pu me sauver mais tu ne l’as pas fait. Avoue que tu ne supportes juste pas de me voir avec les enfants d’un autre.

-        Théora, il y a beaucoup de choses que je ne supporte pas. Je ne supporte pas que cet homme t’ait touché, je ne supporte pas que tu aies décidé de donner naissance à ces enfants et je ne supporte pas que tu aies accepté de vivre chez lui. Je souffrais tout autant que toi, j’avais besoin de temps pour digérer cette situation mais le temps que je réfléchisse tu étais déjà en train de vivre chez lui. Tu étais devenue sa femme.

-        Je n’ai jamais été sa femme.

-        Ce n’est que ton avis. Je t’en prie ne me rends pas la vie plus dure qu’elle ne l’est déjà. Si tu as décidé de partir alors va. C’est sans doute mieux ainsi.

-        Espérant que nos chemins ne se croisent plus jamais.

Le silence était le moyen le plus simple qu’avait trouvé Sévérin pour dire adieu à la femme de son cœur. Il avait dû faire beaucoup d’effort pour ne pas couler une larme. Il la voyait s’en aller loin de lui et qui sait s’il la reverrait encore.

Théora ne voulait pas que Kévin la voit s’en aller alors elle avait attendu tard dans la nuit pour se réveiller et prendre son sac. Elle n’avait jamais dormi dans la chambre de Kévin alors c’était facile pour elle de sortir sans se faire remarquer. Quand elle sortit au salon avec son sac, elle entendit l’un des bébés pleurer depuis la chambre de Kévin. Kévin qui était ivre comme d’habitude dormait profondément. Théora avait refusé de donner des prénoms aux enfants et Kévin l’attendait encore pour choisir les prénoms. Elle avança dans la chambre de Kévin et jeta un œil pour la première fois dans le berceau de ses enfants. Elle remarqua que ces deux enfants n’avaient aucune ressemblance physique. L’un était plus gros avec le teint plus foncé alors que l’autre semblait mince et blanc. Le plus gros pleurait alors que l’autre dormais paisiblement. Quand elle s’approcha de celui qui pleurait et voulut remonter sa couverture, l’enfant prit son index entre ses petits doigts et elle eut un instant l’impression qu’il l’observait. Théora posa son sac et prit pour la première fois son enfant dans ses bras.

-        Toi tu t’appelleras Carlos et tu viendras avec moi.


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