« L’espoir, au contraire de ce que l’on croit, équivaut à la résignation. Et vivre, ce n’est pas se résigner. » Je n’avais jamais été aussi d’accord avec Albert Camus que sur cette citation. C’était mon auteur préféré et depuis petit je me faisais revivre grâce à ses mots. Je suis passé par plusieurs épreuves dans la vie, je me suis construit une armure que j’ai brisée et que j’ai reconstruite. Je m’étais juré ne plus jamais ouvrir la porte de mon cœur à une femme mais ça c’était avant de la voir. Elle était si proche de moi que je pouvais sentir la fragilité de son souffle. On peut me traiter de malade, de masochiste et des pires noms qui puissent exister mais moi seul savais qui j’étais. Je suis un homme qui n’a pas eu une vie facile. Certes, un homme qui préfère sa moto au monde entier mais un homme et un être humain. Si j’avais l’impression d’avoir perdu contact avec l’être innocent qui vécut autrefois en moi, je reconnais m’être trompé. J’ai vu en elle cette nuit, ma part d’innocence, cette part d’innocence que j’ai perdue. Elle est ce que je fus et elle sera ce que suis si je ne l’empêche pas de prendre les mêmes décisions que moi. Yamina s’était révélée à moi comme l’espoir d’un nouvel amour, le chemin vers une vie plus paisible, une vie meilleure. Elle voulait sauver mon cœur et moi je voulais sauver son âme. Elle l’ignorait encore mais il n’y avait plus rien à sauver en moi et me pousser à retomber amoureux était la pire façon de me venir en aide. Je n’avais jamais relevé ma manche pour exposer mes problèmes à une inconnue, mais quand je l’ai vu dans cet hôpital, je n’ai pas pu faire autrement. Je me suis ouvert à elle dès la première minute car je voulais qu’elle lise à travers moi et qu’elle se reconnaisse en moi. Elle s’appelait Rim, la fille qui m’avait fait perdre la tête au point d’entrer dans la plus grosse dépression de ma vie. Je l’aimais d’un amour qui ne dit pas son nom. C’était la seule personne pour qui j’aurai été prêt à tout abandonner pour devenir un homme meilleur et un musulman comme elle le voulait. Elle m’avait fait vendre ma moto, elle m’avait sorti d’une vie de débauche, elle m’avait poussé à trouver mon premier boulot, et elle avait fait du toxicomane que j’étais un homme qui disait non à une petite cigarette. Je n’oublierai jamais ce jour au poste de police car je la voyais là pour la dernière fois. Un braquage avait eu lieu à mon travail et je fus arrêté pour complicité. Mon casier qui était tout sauf vierge n’avait pas aidé à prouver mon innocence. Après trois ans de relation, Rim me revoyait sous les barreaux et réalisait que l’homme qu’elle avait consacré sa vie à faire de moi n’était qu’une illusion. Ironie du sort, j’étais pour la première fois de ma vie, innocent. Elle n’avait pas cru en moi. C’est vrai que tout m’accusait mais j’aurai voulu qu’elle ait un peu foi en moi, en ses œuvres, et en nous. Elle m’avait fait comprendre que j’étais incapable de changer et puisque j’avais pris l’habitude de l’écouter, je l’ai écouté. Elle était partie ce jour-là sans jamais se retourner et quand je fus libéré deux mois après on m’annonça qu’elle était déjà mariée. Rim m’avait sorti d’un profond abîme obscur pour me tirer très loin vers le haut avant de me laisser retomber tout seul et brutalement. J’ai eu l’impression que ce qu’il restait de mon âme s’était envolé pendant la chute et que mon cœur s’était réduit en cendre à l’atterrissage. J’avais cette fille dans la peau au point où je me suis mis à tatouer son prénom sur ma peau avec la clé de la maison que j’avais acheté pour nous. A chaque fois que je me souvenais d’elle, je me scarifiais la main car toute douleur me paraissait bien plus supportable que le souvenir de son abandon. Je sais que ça parait stupide de se laisser souffrir autant pour une femme. Comprenez juste que je n’avais pas perdu qu’une femme, mais mon seul espoir de devenir un homme meilleur. Je ne sais pas pourquoi les médecins pensent que quelques mois de cure peuvent me soigner mais j’espère qu’ils ne se trompent pas. Le psychologue m’avait demandé de dire adieu à Rim en même temps qu’à la drogue et l’automutilation. Je l’ai écouté. Rim ne fera plus partie de ma vie et je vivrai sans elle. D’ailleurs, je venais juste de trouver une nouvelle raison de vivre, Yamina. J’étais décidé à vivre la vie dont Rim m’avait privé, retrouver ma vieille passion, les courses de moto. Avant de rencontrer Rim j’habitais avec Théo, l’homme qui se rapprochait le plus d’un ami pour moi. Théo avait son propre garage et y travaillait le jour. La nuit nous avions une tout autre occupation, courses de motos clandestines, combats de boxe clandestins. Nous nous remplissions les poches grâces à nos multiples victoires et à nos paris. Je venais de finir ma cure et j’avais promis à monsieur Mario ADAMS d’être un homme plus prudent et de ne pas aller à la recherche de nouvelles sources de douleur. J’avais donc fait comprendre à Théo que j’allais arrêter avec la boxe mais les courses de moto je ne pouvais pas les arrêter. Je ne pourrai jamais tourner le dos à cette montée d’adrénaline, le bruit des pneus qui se frottent contre le sol, la sensation d’être comme une fusée terrestre. S’il existait un moment où j’arrivais à me surpasser, à vider mon esprit et à être moi, c’était bien lors de ces conduites à grande vitesse, moi au guidon d’une moto sur une route.
Cela faisait une semaine que j’avais rencontré Yamina et elle ne m’avait pas rappelé. J’étais même persuadé qu’elle avait perdu mon numéro. Ce soir j’avais rendu visite à Théo alors qu’il s’apprêtait à fermer le garage. Il était surpris que je vienne lui parler à son boulot mais il m’avait tout de même reçu.
- Tu aurais pu m’attendre à la maison, m’avait-il notifié. Est-ce si urgent pour que tu viennes me retrouver ici sachant que je ne rentrerais que dans quelques minutes ?
- J’aurai pu t’attendre à la maison mais j’ai préféré venir te parler ici car je viens te demander du travail.
- Je ne doute pas de tes talents de mécanicien mais tu n’as jamais aimé travailler et ça m’étonne que tu veuilles le faire surtout après ce qui s’est passé avec Rim.
- Ne prononce plus ce prénom s’il te plait. J’ai fait la paix avec mon passé et je veux aller de l’avant. Vu que j’ai arrêté les combats j’aurai besoin d’une autre source de revenu.
- Le fait de ne plus combattre ne t’empêche pas de venir parier sur ton meilleur pote.
- Si je compte gagner les paris je vais devoir parier sur Marcus et non sur toi et Dieu sait à quel point je déteste Marcus.
- Pourquoi ne veux-tu pas revenir ? Tu étais le meilleur. Depuis ton départ Marcus joue les invincibles et se vante de ne pas avoir d’adversaire à sa taille.
- Qu’il profite de son heure de gloire car je suis sûr qu’avec un peu d’efforts tu réussiras à prendre le dessus. Il te manque juste de la concentration et un peu plus de précision.
- On fait une chose, j’accepte de te donner le boulot si tu acceptes de m’entrainer pour devenir le nouveau roi du Fight club.
- Ça marche.
- Rentrons maintenant, nous avons une course à gagner ce soir.
Théo et moi étions rentrés à notre appartement. Nous avions ensuite rejoint les autres au lieu de rencontre où nous attendions le signal de départ. Mon téléphone avait sonné en ce moment-là et j’avais profité du retard de l’arbitre pour décrocher. C’était elle, c’était Yamina. Elle disait qu’elle avait besoin de mon aide et qu’il fallait que je vienne la récupérer à Midnight. Midnight était un bar que je connaissais très bien car je l’avais souvent fréquenté. Ce bar avait une particularité. Dès que l’horloge affichait minuit, tout était permis. C’était le coin préféré des vagabonds mais tant qu’il ne sonnait pas minuit la sécurité était assurée. Je regardai alors dans ma montre pour lire l’heure. Il allait sonner minuit dans cinq minutes et j’étais bien loin du centre-ville. Ma course prit alors une autre direction et je roulai vers Yamina au lieu de rouler vers la ligne d’arrivée. C’était la première fois de ma vie où j’abandonnais une course à la dernière minute.
J’étais arrivé à Midnight avec l’intention de l’emmener hors de ce bar. Je ne m’attendais pas à la voir dans un tel état. Elle avait un peu trop bu mais elle avait l’air plus triste que saoule. Il y avait beaucoup de peur dans ses yeux. Au lieu de la faire lever, je m’étais fait une place à ses côtés. J’entendais déjà l’alarme de minuit et les cris des gens heureux d’entrer dans le bar afin de laisser libre court à leurs pulsions. Je savais juste qu’aucun d’eux n’aurait été assez fou pour nous approcher. Je m’étais battu plus d’une fois dans ce bar et la majorité des gens présents savaient de quoi j’étais capable. Pour eux j’étais comme la peste et ils gardaient tous une distance de sécurité.
- Ça ne s’arrête pas, m’avait-elle laissé entendre.
- Quoi ? Lui avais-je demandé.
- La grippe.
- Ça passera, ce n’est qu’une grippe.
- Non, ce sont les symptômes, les signes d’une mort proche. Regarde donc ça.
Elle descendit la manche de sa robe sur son épaule et me montra quelques plaques rouges qui s’étendaient de sa poitrine à son cou.
- Je vais mourir, avait-elle affirmé.
- Plus personne ne meurt du VIH Yamina. Est-ce-que tu suis ton traitement comme il se doit ?
- Je ne l’ai pas commencé. J’ai peur. Je ne veux pas dépendre toute ma vie de médicaments, j’ai horreur des médicaments.
- Crois-moi je sais ce que ça veut dire dépendre de quelque chose. Un traitement antirétroviral n’est pas une addiction mais il est clair que ta vie va en dépendre.
- Que racontes-tu ?
- Je ne sais plus vraiment, mais je suis persuadé que tu vas t’en sortir.
- J’ai perdu tout espoir.
- Tu as encore la possibilité de te battre alors ne te résigne pas, tu es plus forte que ça. Je vais te reconduire chez toi et demain tu iras voir le docteur. Tu lui diras que tu es prête à suivre le traitement. Tu ne seras pas seule dans cette lutte. Je suis là et ton psychologue aussi.
- Ma famille ne me soutiendra jamais, mon amie se soucie plus de ses problèmes de couple que de ce qui m’arrive. Si je mourais aujourd’hui, personne ne s’en rendrait compte.
- Moi je suis là, appuie-toi sur moi. Je peux t’accompagner et t’aider à remporter cette bataille si tu le souhaites. Une fois de plus je vais te laisser les références pour la prochaine rencontre du club de soutien qui aura lieu demain. J’y serai et ta présence ou non à cet endroit me dira si tu souhaites recevoir mon aide ou pas.
- Je n’ai pas très envie d’étaler ma vie à des inconnus.
- Tu réaliseras très vite combien écouter peut faire plus de bien que parler. Tu ne diras rien si tu veux, tu écouteras juste.
- Je vais y réfléchir.
- Il va aussi falloir que tu arrêtes l’alcool, ça ne te fait pas du bien. Lève-toi, je vais te ramener chez toi.
On m’a souvent décrit comme une personne insensible mais j’étais sensible à sa douleur et ce qui pouvait lui arriver me préoccupait. Elle avait la possibilité de s’en sortir mais cela ne tenait qu’à elle. Je lui avais fait une promesse que je n’étais pas sûr de pouvoir tenir. Je mourais d’envie de l’aider mais le pourrai-je ? Je n’étais qu’un homme encore plus brisé qu’elle. Je n’étais que Tiago, un homme à un pas de la trentaine et dont la vie n’avait déjà plus de sens.
Episode 3