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Mon pire reflet 5

Tiago s’était écarté pour laisser passer Yamina et avait fermé la porte derrière elle. Yamina était encore plus impressionnée par l’intérieur de la maison. Tout semblait très bien rangé. Elle regarda chaque coin et remarqua que rien ne semblait être laissé au hasard. Elle était très loin de s’imaginer que Tiago pouvait être aussi ordonné. Tiago avait vite compris que l’état de l’appartement avait attiré l’attention de Yamina alors il décida de lui expliquer ce qu’elle voyait.

- Depuis que Théo a découvert mes petites blessures il en fait un peu trop, avança-t-il. Il oublie que je suis grand et que si j’ai besoin d’une lame ce n’est pas le fait qu’elle soit bien rangée qui m’empêchera de la trouver. Il ignore que j’ai fait tout ça avec une clé en plus.

- Je comprends, affirma-t-elle très peu convaincu. Il ne peut tout de même pas cacher tous les objets tranchants !

- Je lui dis la même chose. De toute façon c’est ainsi, tout est bien rangé. J’imagine qu’il essaie de faire ce qu’il peut pour ne pas se sentir impuissant.

- C’était si grave ?

- Un peu oui, j’ai failli y laisser ma vie et ce n’est qu’à ce moment-là que Théo a compris ce que je vivais vraiment. On avait tendance à dire que la dépression est pour les faibles d’esprit. De toute façon c’est bien passé tout ça. Dis-moi ce qui t’amène ici.

- J’ai besoin d’un endroit où vivre et Théo m’a dit que tu cherchais un colocataire.

- Oui mais pas une femme. Il s’est passé quoi ? Je pensais que tu vivais chez ton amie.

- C’était le cas mais quand son fiancé a appris pour ma maladie il a voulu que je parte. Il pense que je suis contagieuse et que je vais lui transmettre le virus juste en le croisant par hasard dans le couloir.

- Pourquoi ne retournes-tu pas chez toi ?

- Es-tu sérieux ? Je suis sûre que mon père ne me laissera pas passer la porte.

- Tu n’en sais rien.

- Peut-être mais je ne voudrais pas aller dans un endroit où on me rappellera chaque jour que je suis une déception. Je n’ai pas besoin de ça. Depuis que j’ai appris pour ma maladie, toi et le sieur ADAMS êtes les seuls à m’avoir dit que ce n’était pas vraiment grave. Le docteur DAGO aussi mais parmi tous ces gens, tu es le seul qui m’a vraiment mis en confiance.

- Tu ne peux pas rester ici Yamina.

- Toi aussi tu as peur que je partage les mêmes objets que toi ?

- Non pas du tout, ce n’est pas toi le problème, c’est moi. Je ne peux pas habiter avec toi. Il y a beaucoup de choses que tu ne sais pas sur moi et ce serait injuste pour toi de foncer tête baissée vers l’inconnu. De plus depuis le premier jour où je t’ai vu, je n’ai pas fait que partager ta douleur, j’ai aussi ressenti une certaine attirance. J’aime notre amitié, j’aime son innocence mais je ne suis pas sûr de pouvoir la préserver si tu viens vivre ici. Il y a une lumière qui brille en toi, il y a du bon en toi et je ne veux pas que ma noirceur te corrompe. Ce n’est pas toi qui es contagieuse, c’est moi. Si tu restes, cette relation pure qu’on partage deviendra très vite malsaine.

- Je n’ai nulle part où aller Tiago, je n’ai pas de travail, je n’ai aucune source de revenu et la dernière chose que je voudrais c’est aller demander de l’aide à cet imbécile qui m’a filé ce virus. Je doute en plus qu’il accepte de m’aider, c’est un idiot de la pire espèce.

- L’amour nous pousse parfois à commettre certaines erreurs.

- C’est ça le pire, je ne l’aimais pas. Je me suis gâchée la vie sans aucune raison, simplement parce-que j’avais envie de braver tous les interdits, faire tout ce que l’on m’interdisait de faire. J’avais la rage, j’étais furieuse qu’on me traite comme une dévergondée juste à cause de mes fréquentations alors qu’à mon âge j’étais encore vierge. C’était la première et la seule fois que je m’offrais à un homme et je me suis offerte à la personne qu’il ne fallait pas. Je lui ai donné mon innocence et il m’a récompensé de la pire manière. Aujourd’hui je suis là à me battre seule contre cette maladie et lui, il doit être en train de faire d’autres victimes.

- Tu n’es pas seule Yamina, écoute-moi très bien car je ne vais pas le répéter de sitôt, je suis avec toi et je ne te lâcherai pas. Quant à cet imbécile, il faut l’empêcher de faire de nouvelles victimes. La loi punit les personnes qui transmettent volontairement le VIH aux autres.

- Je n’ai pas envie d’aller me plaindre et en faire tout un drame.

- Je peux te comprendre, j’ai une autre manière de régler ça. Dis-moi juste comment s’appelle cet idiot et où je peux le trouver.

- Que vas-tu faire ?

- Je vais juste discuter avec lui, fais-moi confiance. Si je lui explique le nombre d’années qu’il risque de passer en prison il se tiendra peut-être à carreau. Pour l’appartement, je vais te faire un prêt pour que tu puisses t’en prendre un.

- Je ne peux pas accepter ça.

- Crois-moi j’ai de l’argent à jeter. Je ne suis pas riche mais j’ai quelques économies qui ne me servent à rien. J’allais en faire don à une association mais puisque tu en as besoin. Je l’avais mis de côté pour mon mariage avec Rim et il est hors de question que je le dépense sur moi. Tu pourras te payer au moins six mois de loyer et subvenir à tes besoins le temps que tu trouves un travail.

- Six mois de loyer ? On parle de quelle quantité d’argent ?

- De beaucoup d’argent. Le mariage musulman semble un peu complexe. Les parents de Yamina étaient des conservateurs et d’après elle il fallait payer une somme importante pour la dot et bien d’autres choses.

- Et tu vas tout me remettre juste comme ça ?

- C’est mieux que de le laisser là.

- Je vais l’accepter seulement si tu me laisses te le rembourser dès que possible.

- D’accord.

- Enfin si je ne meurs pas du SIDA avant !

Cette remarque qui n’avait rien de drôle les avait pourtant fait rire tous les deux. Alors qu’ils partageaient ce moment de folie leurs regards se croisèrent à nouveau et chacun d’eux se reconnu en l’autre. Tiago se leva immédiatement et proposa à Yamina de l’emmener voir quelques appartements pas très loin. Ils fermèrent la porte, prirent la moto et partirent en silence.

Un mois après, tout semblait aller pour le mieux. Yamina suivait son traitement et avait son appartement. Tiago avait décidé de ne pas prendre un autre colocataire et enchainait les victoires avec ses courses de moto et ses paris. Il se faisait pas mal d’argent même si pour cela il devait souvent parier sur la victoire de son pire ennemi et en défaveur de son ami Théo. Il n’avait pas arrêté de travailler avec Théo au garage et sa passion pour les engins faisait de lui un bon mécanicien. Pendant ce temps, Théo s’entrainait à devenir le nouveau champion du Fight Club et sa fiancée qui était l’une des arbitres de ces combats clandestins le soutenait dans sa lancée. Mario ADAMS était fier de l’évolution de Yamina et du fait qu’elle reprenne peu à peu gout à la vie. Yamina et Tiago avaient désormais leurs petits rituels. Ils se voyaient presque tous les jours et formaient désormais un petit groupe d’ami avec Théo et sa fiancée Safi. Il arrivait même aux deux filles de passer leurs journées ensemble, de faire le déjeuner et de l’apporter à Théo et Tiago au garage. Par solidarité envers Yamina aucun d’eux ne prenait de l’alcool quand ils se retrouvaient et ils l’accompagnaient au club de soutien à tour de rôle et selon la disponibilité de chacun. Safi avait même réussi à trouver du travail à Yamina dans une boutique même si ce n’était que trois jours de la semaine. Les samedis ils organisaient une soirée cinéma tous ensemble et les mercredis soir, Tiago emmenait toujours Yamina faire un tour avec sa moto. Ils s’arrêtaient toujours à Midnight pour prendre quelques sodas et rentraient chez eux avant minuit. Les autres soirs ils se reposaient ou ils improvisaient mais ils s’ennuyaient très peu. Bien que Yamina soit souvent seule les soirs où les trois noctambules partaient au Fight Club ou à des courses de moto, elle arrivait à s’occuper grâce à ses cours en ligne. Leur vie était presque parfaite et tout allait pour le mieux.

Ce mardi alors qu’elle se rendit à son rendez-vous au bureau du psychologue, ce dernier lui annonça qu’il était à la recherche d’une assistante pour l’aider à gérer son agenda et superviser le club de soutien. Mario venait à peine de réaliser un de ses rêves, être un psychologue indépendant et installer son bureau ainsi que son club de soutien au même endroit. Il avait donc son propre cabinet qui combinait son bureau et sa grande salle où se réunissait le groupe de soutien. Il n’était plus question pour lui de travailler seul et Yamina était une femme intelligente qui avait déjà son master. Il savait en plus qu’elle avait besoin d’un travail. Entre temps, Yamina avait demandé à son psychologue de la tutoyer pour lui permettre de se sentir plus en confiance. Mario n’avait pas dit non et ce changement semblait les avoir rapproché.

- Que penses-tu de ma proposition Yamina ? Lui demanda-t-il après lui avoir décrit un peu ce qu’il attendait de son nouvel assistant. Ça t’intéresse de travailler avec moi ?

- C’est la plus grande nouvelle que je reçois depuis des mois.

Yamina quitta son siège et alla serrer Mario dans ses bras pour le remercier. Elle était très joyeuse et son large sourire le faisait savoir à Mario. Mario ne put s’empêcher de partager sa joie et de sourire face à son excitation.

- C’est la première fois que je te vois sourire depuis que je te connais, affirma Mario. C’est vrai que ces derniers temps tu sembles bien plus épanouie mais voir ce sourire sur ton visage est très agréable.

- C’est grâce à vous.

- Par contre maintenant il va falloir me tutoyer.

- Surtout pas, d’autant plus que vous serez mon patron.

- Je préfère que tu te dises que tu travailles avec moi et pas pour moi. Ce sera un travail d’équipe et tu es la première personne que j’invite à avancer dans cette nouvelle aventure avec moi. Je te prie donc de me tutoyer et de m’appeler Mario si tu penses que c’est possible.

- C’est très possible Mario. Dis-moi quand je commence.

- J’adore cette attitude, affirma Mario avant de sourire à son tour. Tu commences dès le début du mois prochain c’est-à-dire mercredi prochain.

- Je ne te l’ai jamais dit mais je n’aurai pas souhaité avoir un autre psychologue que toi.

- Le psychologue c’est un peu comme le meilleur ami qui écoute et qui protège les secrets de son ami peu importe les circonstances. Un vrai paradoxe puisque nous ne sommes pas censés être amis avec nos clients. La relation entre un psychologue et son patient repose sur la confiance et c’est l’une des relations les plus constructives qui existe. Je reçois un patient dans cinq minutes, je crois que nous sommes allés au-delà de notre temps.

- Oh oui ! Agréable journée à toi Mario.

Mario hocha la tête pour recevoir les salutations de Yamina et se concentra ensuite sur le dossier de son patient qui allait bientôt arriver.

Une fois rentrée, Yamina avait appelé Tiago pour lui annoncer la bonne nouvelle. Ils avaient alors décidé de passer leur soirée à fêter ça avec leurs amis. Plus les jours passaient plus une grande complicité naissait entre Yamina et Tiago. Le fait qu’ils habitaient dans le même quartier facilitait les choses et ils allaient faire leurs courses ensemble. Ils se baladaient dans les rues en se tenant par les mains, parfois Yamina agrippée au dos de Tiago ou parfois collée à lui sur sa moto.

Le samedi matin, Tiago s’était arrêté chez Yamina en rentrant de son footing comme à son habitude. Cette fois il avait apporté quelques fruits et boissons pour remplir son frigo car il avait remarqué que son frigo était presque vide. C’était un peu sa faute car il avait été très occupé qu’il avait oublié qu’ils devaient aller faire les courses la veille. Une fois devant la porte il sonna et personne ne lui ouvrit. Yamina n’avait pas l’habitude de sortir si tôt et encore un samedi. Inquiet, Tiago sortit le double des clés que Yamina lui avait gentiment donné et ouvrit la porte. Il la vit allongée dans le canapé enroulé dans une grosse couverture. Il se rapprocha à pas légers et se fit une place à ses côtés. Il avait remarqué qu’elle avait de la fièvre.

- Je vais te conduire à l’hôpital Yamina, lui dit-il.

- Ce n’est pas nécessaire, j’ai pris mes produits et je crois que ça va vite passer. J’ai juste besoin de me reposer.

- En es-tu sure ?

- Oui Tiago, ne t’inquiète pas.

- C’est mon tour de travailler ce matin au garage mais je vais demander à Théo de me remplacer.

- Non vas-y, ne te fais pas de souci.

- Il est hors de question que je te laisse toute seule dans cet état.

- Si ça peut te rassurer, Safi va arriver d’un moment à l’autre. On avait prévu passer la journée ensemble.

Tiago n’était pas rassuré alors il avait attendu l’arrivé de Safi avant de s’en aller. Safi avait ensuite été rejoint par Théo. Ils avaient annulé leur programme de la soirée et après être restés une bonne partie de la soirée à ses côtés, Théo et Safi avaient décidé de s’en aller aux environs de vingt-deux heures.

- Prends soin de toi ma chérie, affirma Safi avant de lui faire un bisou et de s’en aller avec Théo.

Tiago était revenu après avoir quitté le garage et n’avait pas l’intention de rentrer chez lui ce soir. Il avait fait le lit de Yamina et tout doucement il l’avait conduit à sa chambre pour l’aider à s’allonger. Il voulut ensuite aller se faire une place sur le canapé mais le lit était grand et Yamina avait insisté pour qu’il reste dormir dans le lit avec elle. Tiago avait fait un tour dans les toilettes et après quelques minutes, Yamina s’était endormie. Aux environs de deux heures la fièvre de Yamina avait complètement baissé et elle s’était réveillée. Elle avait constaté que Tiago n’était pas à ses côtés.

- Qu’est-ce qu’il peut être têtu, murmura-t-elle avant de quitter le lit.

Yamina avait fait un tour au salon mais bizarrement il ne trouva pas Tiago dans le canapé. Elle remarqua alors que la lampe des toilettes était allumée. Elle toqua à la porte et Tiago lui répondu.

- Que fais-tu dans les toilettes à cette heure ?

- J’ai besoin d’être un peu seul, répondit-il d’une voix étrange presque triste. Retourne te coucher s’il te plait.

- Ouvre la porte s’il te plait, je veux utiliser les toilettes.

Après cinq longues minutes, Tiago ouvrit la porte et alla directement se glisser sous la couverture. Il avait encore sa chemise et pourtant la chaleur était intense. Yamina entra dans les toilettes et observa. Elle voulut sortir quand elle vit comme du sang sur les carreaux. Elle sortit alors inquiète et se dirigea vers son ami.

- Tu comptes dormir habillé avec cette chaleur ? Lui demanda-t-elle.

- De quelle chaleur parles-tu ? La climatisation est à fond là.

- Tu dors habillé ?

- Je n’ai pas à te rappeler que mon corps est couvert de cicatrices, j’ai pris l’habitude de garder ma chemise.

- Enlève cette chemise Tiago.

- Qu’est-ce qui te prend ?

- C’est à toi que je dois poser cette question, qu’est-ce qui te prend ? Tu as bien pris ton temps pour nettoyer mais tu as laissé une goutte de sang. C’est quoi ton problème ? Tu adores te faire du mal ? Dois-je aussi faire comme Théo et cacher mes rasoirs à chaque fois que tu me rends visite ?

- N’exagère pas.

- Enlève cette chemise Tiago, je ne vais pas le répéter.


Episode 6...


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