Exaspéré, Tiago regarda la jeune fille en face de lui et se leva pour saisir ses clés et son portable.
- Je crois qu’il est temps que je rentre, affirma-t-il, tu vas beaucoup mieux.
- Pourquoi sommes-nous amis si tu dois toujours me tenir à l’écart ?
- Te tenir à l’écart ? Je ne t’ai jamais tenu à l’écart, j’ai partagé toute ma vie avec toi, mes amis, tout ce que j’avais. Ça ne te suffit donc pas ? Tu es toujours collée à moi comme une sangsue tous les jours depuis des mois. Je n’ai presque aucune intimité, je dois supporter tes caprices et pire je passe mon temps à m’inquiéter pour toi.
- Tu ne sais pas ce que tu dis, tu ne vas pas bien.
- C’est toi qui ne vas pas bien et je vais rentrer chez moi. J’en ai assez de jouer les baby-sitters, ce n’est pas moi qui t’ai demandé d’aller faire la pute pour choper cette cochonnerie.
A peine avait-il terminé sa phrase qu’il reçut une gifle de la part de Yamina.
- Je ne sais pas ce qui te prend mais tu me parles avec respect.
- Voilà le comportement d’une ingrate. Tu oublies vite tout ce que j’ai fait pour toi.
- Ne me balance pas à la figure que tu as changé ma vie, oui tu m’as tendu la main et tu as fait pour moi ce que personne d’autre n’aurait fait mais ce n’est pas une excuse. Tu ne vas pas te servir de ça pour m’obliger à regarder ailleurs quand toi tu te fais du mal. Tu ne te rends pas compte que tu as de l’importance pour moi et que j’ai mal de te voir t’infliger ça ? Tu vas immédiatement retirer cette chemise ou je te jure que j’appelle Théo, les ambulances, les pompiers et tout ce que tu veux.
Tiago lança un regard noir à Yamina, respira un moment et se calma. Il commença à déboutonner sa chemise et Yamina s’approcha pour lui prendre la main. Elle se chargea de finir de déboutonner et tout doucement elle lui retira sa chemise. Laissant passer ses mains sur corps tout en regardant attentivement, elle fit le tour sans voir une seule nouvelle coupure.
- Bien sûr, murmura-t-elle. Tu vas m’enlever ce pantalon.
- Tu es complètement folle, tu es malade.
- Je sais que tu l’as fait alors tu me montres ce que tu as fait ou je te jure que je suis capable de t’enlever jusqu’à ta petite culotte.
Tiago soupira et énervé, il souleva son pantalon et montra sa jambe gauche à Yamina. A cet instant, Yamina perdit ses mots, le regarda et le tira jusqu’au lit où elle le fit asseoir. Elle alla ensuite chercher sa boite à pharmacie et lui fit un pansement. Tiago s’était fait une profonde entaille à la jambe et son jean noir ne permettait pas de voir le sang qui coulait. Il n’avait pas essayé d’écrire un R ou quoi que ce soit, il s’était juste fait une entaille.
- Pourquoi ? Demanda Yamina accroupie encore à ses pieds essayant de ranger sa trousse.
- Je ne sais pas, répondit-il tristement. Je l’ai juste fait comme ça. Te voir faible et dans cet état a été comme un déclic pour moi, je ne savais pas que te voir souffrante m’aurait affecté autant. J’ai eu une soudaine envie de partager ta douleur et je n’ai pas trouvé un autre moyen de le faire.
- Je n’avais qu’une petite fièvre Tiago !
- Je sais mais comme on dit nos démons ne sont jamais loin et ils profitent de la moindre occasion pour refaire surface. Je ne supporterai pas qu’il t’arrive quoi que ce soit. Depuis un moment, tu es devenu ce que j’ai de plus cher dans ce monde.
- Je ne vais pas mourir Tiago.
- Je le sais mais il faut croire que le docteur ADAMS avait raison, je ne vais toujours pas bien.
- Demain nous irons le voir.
- Non Yamina, ce n’est pas de lui que j’ai besoin. Je sais que je vais m’en sortir et rassure-toi, ça ne se reproduira pas. Fais-moi confiance.
- Je ne m’en remettrai pas s’il t’arrive quoi que ce soit, avoua Yamina les larmes aux yeux.
Tiago aida Yamina à se relever et prit son visage entre ses mains. Une nouvelle fois leurs regards se croisèrent et cette fois ils se laissèrent aller, essayant chacun de décrypter le regard de l’autre et de lire dans son âme. Ils ne réalisèrent pas à quel moment leurs lèvres se croisèrent aussi mais ils se permirent de partager un baiser, le plus inattendu et le plus intense qui soit. Tiago balança la jeune femme sur le lit et s’engagea avec elle dans une nuit de passion. Ce fut une nuit où ils se découvrirent à nouveau. Yamina avait découvert la sensibilité qui se cachait derrière le cœur ferme de l’homme avec lequel elle partageait ses journées. Quant à Tiago, il avait compris que sa petite protégée était loin d’être aussi fragile qu’il le pensait. Il ne suffisait qu’à voir toute l’énergie qu’elle dégageait après une fièvre qui avait durée toute une journée.
Le réveil de Yamina était moins agréable que la nuit qu’elle venait de passer. Tiago n’était plus là, il était parti sans un au revoir. Elle prit une douche et alla s’offrir un petit-déjeuner avec les provisions qu’il lui avait apporté la veille. Toute la journée elle avait attendu qu’il passe la voir ou qu’il l’appelle mais il n’en fit rien. Quand elle entendit la sonnerie, elle se dépêcha d’aller ouvrir et fut un peu déçue de voir qu’il ne s’agissait que de Théo.
- Tu ne sembles pas contente de me voir, s’inquiéta Théo. Un souci ?
- Non mais je m’attendais à voir Tiago.
- Comment ? Il ne t’a pas dit qu’il voyageait ?
- Voyager ? Pour aller où ?
- Je n’en sais rien, d’ailleurs je pensais que tu pouvais me renseigner. Il m’a laissé un message pour me dire qu’il sera absent au garage quelques jours parce qu’il devait faire un petit voyage.
- Je n’arrive pas à croire qu’il ne m’en ait même pas parlé.
Quelques jours passèrent sans nouvelle de Tiago. C’était déjà mercredi et Yamina avait commencé son nouveau travail. C’était le premier jour et ils avaient eu beaucoup de travail. Ils avaient fini tard. Quand Mario se préparait à quitter le cabinet, il remarqua que Yamina y était toujours. Il se rapprocha alors d’elle pour savoir ce qu’elle faisait toujours là.
- Tu ne rentres pas ? Demanda Mario à Yamina.
- Je ne sais pas ce que j’irai faire chez moi. Ce sera un mercredi pas comme les autres.
- Et pourquoi ça ?
- Je passais mes mercredis soir au Midnight avec Tiago mais il a voyagé.
- Au Midnight ? C’est un coin assez dangereux ça non ? Je n’y ai jamais été mais j’en ai entendu parler.
- Oui mais on partait toujours avant minuit et tout allait bien.
- Si tu veux je peux t’inviter à diner avec moi, ce n’est pas Midnight mais c’est un restaurant sympathique.
- Non ne te dérange pas.
- Ça ne me dérange pas, de toute façon c’est toujours mieux que de diner seul. On en profitera pour trinquer à ton premier jour de travail.
Mario réussit à convaincre Yamina et avec sa voiture ils se rendirent dans un restaurant pas très loin. Après un long moment à bavarder ils réalisèrent qu’il allait réellement sonner minuit. Mario se proposa gentiment de ramener Yamina chez elle et elle ne put refuser. Quand Yamina arriva chez elle, elle remarqua que la porte était ouverte. Elle souhaita une bonne nuit à Mario et entra dans son appartement. Tiago était assis dans le canapé à l’attendre.
- Je suis passé te chercher mais tu n’étais pas là alors je me suis permis d’attendre ici, expliqua-t-il.
- D’accord.
- D’accord ? Qui t’a ramené ?
- Mario.
- Le docteur ADAMS ! Prononça-t-il en se levant du canapé surpris. Tu l’appelles par son prénom maintenant ?
- Que veux-tu Tiago ?
- Tu as oublié qu’on a un programme les mercredis ?
- Je ne savais pas que tu t’en souvenais vu que tu es parti sans dire où tu allais ni quand tu reviendrais.
- Du coup tu as choisi partager notre petit moment avec le docteur ADAMS ou devrais-je dire Mario. Pourquoi te ramène-t-il à la maison ? Où étiez-vous ?
- Qu’est-ce que ça peut bien te faire ? Je me sentais seule et il a proposé que je vienne diner avec lui. Nous sommes allés au restaurant puis nous sommes rentrés.
- Tu te rends compte qu’il est minuit !
- Et alors ? Tu arrêtes avec ça, tu n’es pas mon père et je n’ai pas à te rendre des comptes. Je ne vois pas pourquoi je dois t’expliquer les choses alors que toi tu fais ce que tu veux sans informer qui que ce soit. Tu es parti de chez moi sans avertir et ensuite tu as disparu.
- Je suis allé voir Rim, avoua-t-il en se remettant assis. J’avais besoin de lui parler.
- Je ne sais pas comment je dois prendre ça, déclara Yamina avant de se faire une place en face de lui. Tu passes une nuit avec moi et le lendemain tu cours la chercher.
- J’avais besoin de laisser ce passé derrière moi et pour ça il fallait que je lui parle. Il est temps que je lui dise au revoir. Son fantôme ne doit pas continuer à me hanter et m’empêcher d’assumer ce que je ressens pour toi.
- Ce que tu ressens pour moi ?
- Je suis en train de tomber amoureux de toi Yamina, en fait je le suis déjà.
- Ce qui s’est passé la nuit du samedi était une erreur. Être avec moi n’est pas sans risque. D’ailleurs, c’était très imprudent de le faire sans se protéger. Je ne voudrais mettre personne en danger et toi encore moins. Je sais que ce n’est pas facile pour toi mais ça l’est encore moins pour moi car ce que tu dis ressentir aujourd’hui, je l’ai ressenti dès le premier jour où j’ai plongé mon regard dans le tien.
- Comment peux-tu penser que le fait d’être avec toi puisse me faire peur ? Ne me connais donc tu pas assez ?
- Je te connais assez pour savoir que tu cherches toujours le moyen de te faire du mal.
- Arrête avec ça. Ce qui s’est passé était un incident isolé. Je t’ai promis que ça ne se reproduirait pas. Quant à ce qui s’est passé entre nous je suis adulte et je fais mes propres choix en plus tu suis un traitement.
- Ça ne veut rien dire, ça fait à peine trois mois que j’ai commencé à suivre ce traitement.
- Si tu veux on peut en parler avec ton médecin.
- Ce n’est pas nécessaire, ça n’arrivera plus.
- Je viens de te dire que j’étais amoureux de toi et d’après ce que tu m’as dit c’est réciproque.
- Quand on aime une personne on évite de lui faire prendre des risques, exactement comme tu le fais avec moi en m’interdisant de te suivre à tes courses et tes combats. Pourquoi veux-tu affronter mes démons avec moi si tu refuses que je fasse pareil ?
- Les courses de moto sont plutôt ma passion. C’est l’un des rares moments où je vis le bonheur à fond, ce que je ressens quand je conduis à toute vitesse est une sensation indescriptible et incomparable. C’est le seul moment où je ne me soucie de rien, ni de la vie, ni même de la mort.
- Et pourtant tu ne veux pas partager ce moment avec moi.
- En fin de compte tu as raison, il y a beaucoup de choses sur moi que tu ignores et je ne suis pas prêt à te montrer tout ce que je suis. Passe une agréable nuit Yamina.
Tiago posa un baiser sur la joue de Yamina et sortit de l’appartement. Il s’arrêta dans un coin de la rue et sortit son téléphone pour appeler son ami Théo qui était au Fight Club.
- Marcus est-il déjà parti ? Avait-il demandé ?
- Non, avait répondu Théo à l’autre bout du fil. Il va disputer son premier combat dans quinze minutes.
- Dis-lui d’attendre, qu’il ne se fatigue pas, je lui apporte un adversaire de taille.
Tiago démarra sa moto et se dirigea vers le Fight club. Il venait de sonner une heure du matin et les rues étaient presque vides. Le repère clandestin où ils menaient leurs combats nocturnes était implanté dans le sous-sol d’un bar situé vers la sortie de la ville. Pour ceux qui ne faisaient pas partie de la confidence, il s’agissait juste d’un bar qui restait ouvert toute la nuit mais pour les initiés, c’était tout autre chose. Un autre monde existait en bas et il suffisait de connaitre le mot de passe. Un garde était toujours debout dans le couloir qui menait vers les toilettes et une porte rouge était située au fond du couloir. Elle ressemblait plus à une sorte de décoration qu’à une vraie porte et pour l’ouvrir il fallait entrer un code. Tiago s’était avancé, avait salué le garde en lui glissant le mot de passe. Il avait alors pu avancer vers la porte pour entrer son code et rejoindre le sous-sol. Il y avait près d’une cinquantaine de personnes mais Tiago savait exactement où trouver son ami. Il avança vers lui et le trouva debout avec Safi.
- Tu n’avais pas dit que tu viendrais aujourd’hui, s’étonna Safi. D’habitude les mercredis tu as un programme bien différent. Il se passe quoi ? Tu t’es disputé avec ta chère Yamina ?
- Je crois qu’ils sont un peu en froid, appuya Théo.
- C’est normal, ça se voit que leur relation a un peu évolué et qu’ils réalisent enfin que cette soi-disant amitié n’est qu’une façade. Ça se voit que vous êtes amoureux.
- Vous ne pouvez pas vous taire un instant ? Affirma Tiago agacé.
- Tu m’avais dit que tu venais avec un adversaire pour Marcus. Ça fait un moment qu’il attend.
- C’est moi l’adversaire.
- Qu’est-ce-que tu racontes ? ça fait des mois que tu ne t’es pas battu. Tu as beau être le meilleur mais tout ce temps passé au repos risque d’agir sur toi. Il est hors de question que je parie sur toi mon frère.
- Je sais, je ne pense pas gagner mais j’ai besoin de me battre, j’ai besoin d’évacuer cette rage.
- Encore une de ces envies de te faire du mal ?
- Que racontes-tu ?
- Yamina m’a dit pour ta jambe.
- Il faut toujours qu’elle se mêle de tout.
- Elle s’inquiète pour toi et je pense qu’il est temps que tu lui dises. Je pensais que c’était fini tout ça mais si ça recommence tu dois lui dire.
- Dis-moi Théo, est-ce-que j’ai l’air d’aller mal ?
- Non mais ça pourrait très vite recommencer.
- Si tu veux affronter Marcus c’est le moment, informa Safi. C’est moi qui vais arbitrer le combat et je crois que c’est le moment. Regarde la foule, ils ont hâte de voir l’ancien champion se mesurer au nouveau.
- Que dois-je faire Tiago ? Demanda Théo.
- Parie sur Marcus.
Tiago rejoignit Marcus sur le ring et la foule commença à s’agiter. Il donna le premier coup et après quelques minutes, il n’arrivait plus à en donner. Marcus avait pris le dessus et l’avait mis à terre. Il enchainait les coups de pied et se faisait encourager par son public. Théo priait pour que son ami déclare forfait mais il semblait prendre plaisir à se laisser battre. Au bout d’un moment, remarquant qu’il était presque inconscient et que Marcus ne semblait pas vouloir arrêter, Safi siffla la fin de l’affrontement. Théo courut alors et aida son ami à quitter le ring. Accompagnés par des huées et quelques lancés d’objets ils prirent la porte laissant Safi terminer son travail.