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Mon pire reflet 7

Théo avait ramené son ami chez lui et avait attendu qu’il prenne sa douche. Tiago saignait encore du nez. L’œil droit tout rouge et une coupure près du cou, il avait reçu les coups les plus violents au ventre. Il tenait difficilement debout et avait une grosse migraine, suivi d’un vertige.

- Je crois que cet imbécile m’a brisé quelques cotes, murmura-t-il.

- On peut dire que tu as eu ce que tu voulais.

- Si tu es là pour me tenir les mêmes discours que Yamina, tu peux partir s’il te plait. Vous en faites toujours des caisses. Ce n’est pas mon premier combat encore moins ma première défaite. Je me souviens qu’à mes débuts je perdais très souvent.

- Tu es amoureux de cette fille, assume-le, confie-toi à elle et cesse de faire l’imbécile.

- Tu crois vraiment qu’elle voudrait de moi si elle savait tout ?

- Je pense que c’est à elle que tu devrais poser la question. Elle pourrait te surprendre.

Yamina avait passé une nuit épuisante. Elle se sentait fatigué le lendemain matin mais il fallait qu’elle se prépare pour aller travailler. Alors qu’elle s’apprêtait à sortir, elle reçut la visite de Safi mais ne la fit pas entrer.

- Je suis un peu en retard, expliqua-t-elle après les salutations.

- Oui je comprends, je suppose que tu n’es pas au courant de ce qui s’est passé hier.

- Parce qu’il s’est passé quelque chose hier ?

- Tiago est venu combattre et il a bien failli se faire tuer. Si quelqu’un d’autre que moi avait le sifflet il serait dans un sale état aujourd’hui. Je dirai, dans un pire état car il est déjà dans un sale état.

- Je n’arrive pas à le croire.

- Je ne sais pas ce qui se passe entre vous mais il faut vite régler ça. Cette situation ne fait du bien à aucun d’entre nous et si ça continue ça risque de devenir incontrôlable.

- Tiago n’est pas un enfant, il ne peut pas aller se foutre dans des problèmes à chaque fois qu’il y a une chose qui ne lui plait pas.

- Il ne le fait pas exprès et si d’ici là il ne te dit pas ce qui ne va pas moi je m’en chargerai.

Safi s’en alla et indécise, Yamina regarda sa montre et décida d’aller voir Tiago avant de se rendre au cabinet.

Quand elle arriva chez Tiago, elle y trouva Théo. Ce dernier avait passé la nuit là et était sur le point de s’en aller.

- Je vais vous laisser, décida Théo avant de prendre la porte.

Yamina se servit un jus dans le frigo et Tiago et se mit assise tout près de lui.

- Regarde dans quel état tu es, laissa-t-elle entendre entre deux gorgées. Tu n’as pas su tenir la promesse que tu m’as faite. Tu n’as peut-être pas fait ça avec tes mains mais où se trouve la différence ?

- Je suis malade Yamina. J’ai des troubles de l’humeur. Il y a quelques années c’était bien pire. Je ne m’en rendais pas compte mais il m’arrivait de passer d’un état à l’autre sans aucune raison ou pour très peu de chose. Rim avait remarqué que quelque chose n’allait pas, elle a remarqué que mon humeur était très instable. Le plus souvent j’étais soit euphorique soit très en colère. Depuis un moment mes excès de colères ont laissé place à des moments de profonde tristesse. Je pense que cela est dû à la longue dépression dont j’ai souffert. J’ai fait des choses dont je n’étais pas fier alors que j’étais dans un état second. Quand Rim m’a fait la remarque au départ je n’ai pas voulu l’écouter jusqu’à ce qu’arrive ce jour. J’avais surpris Rim avec un de ses amis qui venait la voir souvent. Ils ne faisaient rien de mal mais ils étaient très proches et j’ai commencé par m’imaginer des choses. J’ai agressé cet homme et j’ai bien failli le tuer. Quand je suis revenu à moi j’ai compris que quelque chose n’allait pas. Je me suis souvenu de toutes les fois où mon père avait des excès de colère et nous battait ma mère et moi. Je me suis souvenu que je lui demandais à chaque fois de partir avec moi loin de cet homme mais qu’elle me répétait qu’il était malade. Je ne voulais pas devenir comme mon père, je ne voulais pas faire du mal à une personne que j’aime. Avec Rim nous avons donc décidé d’aller voir mon père en prison.

- Ton père est en prison ?

- Mon père est en prison depuis seize ans. Il a été condamné parce qu’il avait fini par la tuer. Moi je n’avais même pas encore quinze ans et j’avais été témoin de tout ça.

Après avoir dit ça Tiago ne put s’empêcher de baisser la tête et de laisser échapper quelques larmes. Yamina essaya de nettoyer ses larmes avec ses doigts et il serra les dents quand elle toucha son œil endolori. Elle lui prit ensuite la main et il respira pour reprendre son souffle.

- Je ne m’attendais pas à ça, avoua Yamina. Je n’aurai jamais pu imaginer que tu aies vécu tout ça ou que tu vives encore tout ça.

- C’est impossible de se détacher de ce passé car à chaque fois que j’agis comme mon père je ne peux m’empêcher de penser que je pourrai faire du mal aux personnes que j’aime. Si je suis partie ce soir-là, c’est parce-que je venais de revivre une fois après longtemps ces choses que je pensais avoir laissé derrière moi. J’ai voulu parler à Rim parce qu’elle est la seule qui le comprenait mais aussi parce-que tout est devenu pire après son départ. Je voulais fermer ce chapitre que j’ai ouvert avec elle et espérer que ces démons qu’elle a réveillés partiraient avec elle mais la vérité est que ces démons existaient bien avant elle.

- Lui parler a pu te soulager ?

- Je n’ai pas réussi à voir Rim. J’ai juste appris qu’elle avait perdu son mari depuis peu et qu’elle était partie un temps loin de tout pour faire son deuil.

- Que s’est-il passé après ta visite chez ton père ?

- Il m’a donné le numéro de son docteur et nous sommes allés le voir. Il m’a fait comprendre que mon père était malade et que j’avais hérité de cette maladie. Après des examens, des tests, des séances et toute une vie narrée, il m’a fait comprendre qu’en effet je souffrais du même mal que mon père. C’était moins grave mais c’était presque pareil. Je suis cyclothymique.

- C’est la première fois que j’entends ce mot.

- C’était la première fois que je l’entendais aussi à l’époque. Tu as déjà entendu parler de la bipolarité ?

- Ça oui, tu es bipolaire ?

- Pas exactement, mon père l’était, il était bipolaire de type I. Moi j’ai une forme moins grave, mais la cyclothymie peut bien être un précurseur du trouble bipolaire. Toute cette énergie intense que je dégage, ces sautes de l’humeurs, cette impulsivité et même la façon dont je t’ai abordé sans te connaitre, cette sorte de familiarité avec toi et le fait que je m’implique autant dans ta vie ne sont pas forcément des comportements normaux. Il pourrait bien s’agir des manifestations du mal dont je souffre.

- Le fait que tu penses être amoureux de moi également ?

- Le fait que je pense être amoureux de toi, répéta Tiago avec un léger sourire. Je ne le pense pas Yamina, je suis amoureux de toi. Je viens là de te dire tout ce que je peux te dire sur moi et il te revient de prendre une décision, de me garder ou de me sortir de ta vie.

- D’abord je suis heureuse que tu aies partagé tout ça avec moi et avec autant de sincérité. Je veux que tu saches qu’il est hors de question que je te laisse affronter ça seul. Je n’ai pas peur de tes démons, exactement comme tu n’as pas eu peur des miens.

- C’est différent Yamina, toi tu vas bien, tu n’es ni malade ni folle. D’accord tu as un contracté un virus mais d’ici quelques mois tu retrouveras une vie normale mais moi non. Ce que j’ai ne se guérit pas. Dans le meilleur des cas il pourra être contrôlé mais dans le pire des cas je finirai par me faire du mal ou en faire à autrui. Je ne voudrais pas que tu sois ma victime, que tu sois aussi amoureuse que ma mère, que tu restes à mes côtés malgré tout et que comme elle tu finisses par en subir les conséquences.

- C’est injuste de me dire ça alors que tu as permis à Rim de rester à tes côtés.

- Rim savait bien plus que toi à quoi elle avait à faire. Elle m’a vu dans mes pires moments, elle a côtoyé le pire de mes démons et elle n’a pas eu peur. Elle a dompté le démon et a vécu sous son toit pour lui venir en aide.

- Moi je ne ferai pas que lui venir en aide, je vais en tomber amoureuse. Je vais aimer chaque partie de toi Tiago et chaque partie de toi m’aimera, je t’en fais la promesse. Depuis mon enfance j’ai toujours été différente, j’ai toujours aimé les défis et surtout j’aime braver les interdits. Je suis avec toi Tiago et si c’est toi le monstre que je dois affronter je n’ai aucune raison d’avoir peur. Je ne te laisserai pas me faire du mal, c’est une promesse.

Un couple venait de naitre et les deux nouveaux amants avaient l’intention de rendre ce moment inoubliable. Des baisers et des caresses, deux minutes après Tiago n’avait plus son haut. Allongé dans le canapé avec les douleurs de la veille, Yamina comptait bien prendre les rennes pour lui éviter de se faire mal. Sentir ses soixante kilos sur lui ne faisait pourtant pas moins mal. Assise au-dessus de lui, Yamina l’embrassa et s’approcha de son oreille.

- Tu les mets où ? lui chuchota-t-elle à l’oreille.

- Je ne sais plus, ça fait longtemps que je ne m’en suis pas servi.

- Il est hors de question qu’on continue à prendre des risques.

- Arrête avec ça, tu ne vas rien me refiler et moi non plus.

- J’insiste, il n’y a pas que le VIH dans la vie.

- Je ne sais pas où ils sont, s’ils existent toujours.

- Alors on arrête.

- Tu ne vas pas me faire ça !

Yamina se leva et tendit la main pour prendre son chemisier mais Tiago la prit par la taille et la ramena à lui. Il échangea sa place à la sienne et elle ne put résister à la grande envie qui l’animait. Trente minutes après ils étaient toujours là l’un dans les bras de l’autre essayant de reprendre des forces. Safi entra soudainement et sursauta en les voyant allongés là et sans vêtements. Elle se retourna immédiatement énervée.

- Mais vous êtes malade, cria-t-elle depuis l’extérieur, vous ne pouvez pas prendre la peine de fermer la porte ?

- C’est ton idiot de fiancé qui l’a laissé ouverte en sortant, hurla à son tour Tiago.

Ils se dépêchèrent d’enfiler leurs habits. Yamina regarda sa montre et constata qu’elle avait déjà près de deux heures de retard. Elle embrassa Tiago et demanda à partir. Une fois dehors elle regarda son amie et les deux éclatèrent de rire.

- Tu es folle toi, murmura Safi, tu vois bien qu’il est dans un sale état mais tu viens faires des bêtises avec lui.

- Il n’avait pas l’air d’une personne qui allait mal il y a peu et je t’assure que c’était plus intense que son combat d’hier.

- Oui c’est ça assassin.

- Fais-lui une petite tisane et tout ira bien.

- Tu rigoles, tu couches avec lui et c’est à moi de faire le petit déjeuner ? Je n’en ai même pas fait à mon Mathéo.

- N’as-tu donc aucune compassion pour ton ami malade ?

- En fait vous vous ressemblez bien, des manipulateurs.

Yamina fit la bise à son amie et courut chercher un taxi. Safi quant à elle entra dans l’appartement et dès que Tiago la vit entrer, il se jeta dans le canapé. Il semblait à bout de forces.

- Je sens que je vais crever, prononça-t-il.

- Ça t’apprendra à faire plaisir à ce petit diable.

- Un diable ça non, je dirai plutôt un succube. En plus ce n’est pas moi qui lui ai fait plaisir, c’était l’inverse.

- Tant pis pour toi et tes côtes cassées.

- Si tu me faisais ma tisane au gingembre !

- C’est ce que je disais

- Quoi donc ?

- Vous êtes pareils.

- Merci pour le compliment, tant que tu y seras, tu pourrais aussi me faire un jus de betterave ?

Safi balança la tête, sourit et se dirigea vers la cuisine.

Yamina était enfin arrivé au cabinet et s’était rendu dans le bureau de Mario. Elle le trouva avec un patient et il lui demanda de l’attendre à l’extérieur. Une fois le patient parti, elle entra et il lui demanda de s’assoir. Il avait encore les yeux dans ses papiers mais l’une des choses que savaient faire les psychologues mieux que quiconque c’est écouter sans se détacher de leur carnet.

- Est-ce une heure pour arriver ? Lui demanda-t-il sans toujours lever les yeux.

- Excuse-moi Mario, j’ai eu un petit empêchement.

- Je peux savoir de quel genre d’empêchement il s’agit ?

- Est-ce que je parle à mon psy ?

- D’après toi.

- Non, je préfère donc ne pas en parler, c’est très personnel.

- Yamina, prononça-t-il en se redressant, aujourd’hui c’est mon anniversaire, j’aurai pu rentrer chez moi et profiter de ma journée mais je ne l’ai pas fait parce-que j’ai du travail et des engagements. Je sais que tu n’es pas habituée à aller travailler tous les jours mais c’est ça la vie, une vie normale d’adulte comme tu le voulais. J’attends beaucoup de toi, j’ai confiance en toi et je sais que tu es une battante alors ne me déçois pas.

- Je suis vraiment désolée, je ne voulais pas.

- Ce qui me dérange ce n’est pas que tu sois en retard mais qu’en plus tu n’aies pas pris la peine de prévenir. Nous avions une réunion à neuf heures. Je t’ai attendu.

- Ça ne se reproduira pas.

- J’espère bien. Ne perdons pas plus de temps. Mettons-nous au travail.

- Oui et au passage, joyeux anniversaire.

- Merci.

C’était une belle journée pour Yamina. Certes, elle était venue en retard et avait eu un avertissement mais elle ne pouvait s’empêcher de se souvenir du moment magique qu’elle avait passé avec Tiago plus tôt. Elle avait laissé de côté son inquiétude et essayait de ne retenir que les meilleures choses. Ils étaient officiellement en couple et ça c’était merveilleux.


Episode 8...


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