C’était déjà vendredi soir. Yamina venait de terminer sa journée à dix-huit heures et rangeait son petit sac. Mario qui était déjà en route pour la maison la trouva à l’accueil et s’arrêta. Il avait remarqué que la nouvelle réceptionniste qu’il venait d’embaucher n’était pas à son poste.
- Où est passé Cécile ?
- Elle avait une urgence, je lui ai dit que j’allais fermer.
- C’est fou comme tout le monde se permet d’aller et venir sans informer. Si elle vient demain, dis-lui de passer dans mon bureau.
- Compris.
- Passe une bonne soirée.
- Attends Mario, il y a une question que je voulais te poser depuis un moment déjà.
- Pourquoi ne l’as-tu pas posé pendant notre séance de ce matin ?
- Ça ne me concerne pas directement.
- Tu as le droit de poser les questions que tu veux à nos séances. J’ai très envie d’écouter Yamina mais je dois vraiment y aller. Je tiens à peine debout. Si ce n’est pas urgent, tu m’en parleras lundi, je suis vraiment épuisé.
- Non s’il te plait, ça risque de m’occuper l’esprit tout le week-end.
Mario soupira, tira une chaise et s’installa. Il savait à quel point les questions de Yamina pouvaient être complexes et générer d’autres questions. En général quand elle disait avoir une question, il fallait toujours s’attendre à une dizaine de questions tout au moins.
- Je t’écoute.
- Si tu veux je peux nous faire livrer un diner, affirma-t-elle pour le taquiner.
- Es-tu sérieuse ? S’inquiéta Mario.
- Non je rigole. En fait je voulais savoir ce que vous savez de la cyclothymie, je ne sais pas si je l’ai bien prononcé.
- C’est un trouble de l’humeur.
- Est-ce grave ?
- Ça dépend mais ce n’est pas une maladie à prendre à la légère. Pourquoi t’intéresses-tu à ça ?
- J’ai une amie qui en souffre.
- Est-ce qu’elle suit un traitement ?
- Ça peut se guérir ?
- Non mais on peut la stabiliser grâce à des thymorégulateurs.
- Qu’est-ce que c’est ?
- Des traitements, il s’agit de médicaments régulateurs de l’humeur. Si ton amie ne va pas consulter un spécialiste, son état pourrait s’empirer.
- Ça pourrait être grave ?
- Très grave. Une personne qui ne contrôle pas ses agissements est une personne dangereuse pour elle-même et pour son entourage. Lorsque ce genre de maladie n’est pas sous contrôle, elle peut avoir des conséquences et le suicide en fait partie. De plus sans traitement ton amie augmente les risques d’évoluer vers un état plus grave, la bipolarité.
- Peux-tu l’aider ?
- Ton ami a besoin d’un psychiatre pas d’un psychologue. Je pourrai bien l’écouter et lui apporter mon aide mais je ne suis pas qualifié pour faire plus, je ne peux pas la soigner.
- Je comprends. Merci.
- Je t’en prie.
- Agréable week-end à toi.
Yamina était rentrée chez elle pour se changer et prendre un petit sac pour se rendre chez Tiago. Il l’attendait assis au pied de son canapé en face de sa télévision. Quand elle arriva, elle s’allongea à même le sol et posa sa tête sur ses genoux.
- Enfin le week-end ! Affirma-t-elle soulagée.
- Ça alors ! Tu n’as même pas travaillé une seule semaine.
- Oui mais j’ai beaucoup travaillé.
Alors qu’ils discutaient calmement Théo et Safi ouvrirent la porte avec en main un carton de pizza.
- Nous voilà enfin, annonça Théo.
- Ces deux-là ne savent pas frapper à la porte, balança Tiago pour les taquiner.
- De toute façon il n’y a plus rien à cacher, répondit Safi. Tout ce qu’il y a à voir je l’ai vu la dernière fois.
- Sérieux ! S’inquiéta son fiancé.
- Je ne t’ai pas raconté ? Ils m’ont presque traumatisé.
- Tu n’exagèrerais pas un peu ? Se plaignit Yamina.
- Bon c’est bon, j’avoue je n’ai vu que tes grosses fesses.
- Safi, appela Tiago, tu pourrais s’il te plait aller chercher les boissons ?
- Pourquoi c’est toujours moi qui dois tout faire ?
- Peut-être parce-que tu parles un peu trop. Les seuls moments où tu te tais c’est quand tu as un sifflet dans la bouche.
- Pas qu’un sifflet, ricana Théo, je vais m’abstenir de donner des détails, je ne voudrais pas être le prochain à aller chercher les boissons.
Le groupe se dirigea vers un espace vide. Ils s’installèrent par terre et firent un petit carré. Ils avaient à côté d’eux leur carton de pizza, quelques boissons et deux cartons. Sur l’un des cartons était écrit action et sur l’autre était écrit vérité. Une bouteille était posée au milieu et ils se regardaient.
- Pouvez-vous me rappeler qui a eu la stupide idée de faire ce jeu ? Interrogea Safi.
- Demande à ton cher fiancé, lui répondit Tiago.
- De toute façon moi je ne joue pas, je vais juste arbitrer.
- Ça t’arrange bien.
- Commençons donc.
Safi tourna la bouteille qui se dirigea vers elle. Ayant refusé de jouer, elle la relança et cette fois c’est Tiago qui fut désigné.
- Action ou vérité ? Lui demanda-t-elle.
- Vérité.
Elle piocha un bout de papier dans le carton vérité et le déplia.
- As-tu déjà trompé ta copine ?
- Non, on relance.
Cette fois la bouteille se dirigea vers Yamina.
- Comme par hasard, se plaignit-elle. Je choisis action.
- Embrasse la personne qui est assise à ta gauche, lisait Safi sur le bout de papier qu’elle avait pioché dans le carton action.
- C’est hors de question, interdit Tiago en même temps que Safi qui était assise juste à la gauche de Yamina.
- Quoi ? S’étonna Safi, es-tu jaloux de moi ?
- Non mais je ne voudrais pas que tu lui refiles tous les microbes que Théo te refile.
Ils éclatèrent tous de rire et leur moment de distraction fut interrompu par la sonnerie de la porte. C’était étrange, ils n’attendaient personne et toutes les personnes qui avaient l’habitude de sonner à cette porte étaient déjà tous à l’intérieur. Tiago se leva pour aller ouvrir et se retrouva face à un inconnu qui demandait d’après Yamina. Yamina se dirigea vers la porte et fut surprise en voyant l’homme qui était debout là.
- Papa ! Prononça-t-elle. Entre s’il te plait.
- Je préfère rester dehors.
Yamina s’excusa auprès de ses amis et sortit rejoindre son père à l’extérieur. Elle ferma la porte et les deux restèrent là debout juste à la porte. Le père de Yamina regarda sa fille de haut en bas avec déception. Yamina portait une grande chemise de Tiago qui couvrait à peine ses fesses. Elle était gênée de recevoir son père ainsi mais elle ne s’attendait pas à son arrivée.
- Je vais entrer enfiler quelque chose, décida-t-elle.
- Ce n’est pas nécessaire, reste comme tu es, ça te va bien. Je ne sais pas pourquoi ça me surprend. Ça ne t’a pas suffi d’aller chopper le SIDA, il faut en plus que tu t’affiches comme une prostituée.
- Je n’ai pas le SIDA pas, j’ai le VIH et c’est différent. Peu importe, je doute que tu y comprennes quelque chose. Que viens-tu faire ici ?
- J’étais passé chez ton ami Lola et elle m’a donné ton adresse.
- J’ai oublié de dire à Lola que je n’habitais pas ici et que j’avais mon propre appartement.
- Qui aurait cru que le vagabondage payait si bien !
- Si tu es venu jusqu’ici pour m’insulter je te prie de ne pas perdre ton temps.
- J’ai parlé à un pasteur et il est prêt à organiser une séance de prière afin de te délivrer de tout ça. Je veux que tu rentres à la maison.
- Avant ou après ta délivrance ? Tu auras beau organiser une délivrance avec tous les pasteurs du monde, ils ne me guériront pas. Ce que j’ai n’est pas spirituel.
- C’est ce qu’on dit quand on n’a pas la foi. Dieu est le maitre du monde et aucun mal n’est au-dessus de lui.
- J’apprécie vraiment de voir que malgré tout tu te fais du souci pour moi, vraiment. Tu dois juste savoir que je suis adulte et que je prends mes propres décisions.
- Regarde où elles t’ont mené toutes tes décisions.
- Je sais que n’ai pas toujours fait les meilleurs choix mais l’essentiel est que je sois assez forte pour les assumer. Je vais arriver à surmonter tout ça et avoir une vie normale.
- Je t’en prie, tant que tu auras ce virus en toi tu ne pourras jamais avoir une vie normale.
- C’est ton avis papa.
- Je crois que je vais y aller, je n’aurai pas dû venir. Sache juste que ta sœur se fait du souci pour toi.
- Je l’appellerai.
Le vieil homme acquiesça et se retourna pour partir. Yamina avait rejoint le groupe un peu triste et ils avaient rangé leur petit jeu. Ses amis avaient essayé de lui remonter le moral et quand il commença à se faire tard Théo et Safi prirent congé d’eux.
- Reste dormir, lui proposa Tiago.
Yamina accepta et fit un tour rapide sous la douche avant de venir se mettre au lit. Dans les bras de son amoureux elle trouva vite le sommeil.
A son réveil à six heures, Tiago n’était pas là. Cette fois il avait pris la peine de lui laisser une note disant qu’il était parti faire son footing mais ça elle l’avait déjà compris. Elle alla se brosser les dents et faire du thé. Tiago était revenu avec des pâtisseries et ensemble ils avaient pris leur petit déjeuner.
- Tu as quoi de prévu aujourd’hui ? Demanda la jeune femme son partenaire.
- Je dois aller au club pour m’entrainer avec les amis. Le combat de la dernière fois m’a fait comprendre que j’avais besoin de me remettre en forme.
- Tu vas retourner combattre ?
- Non mais j’ai besoin d’être en forme et de récupérer mon titre. C’est très dangereux pour moi que les gens sachent que je ne suis plus le meilleur.
- Je ne comprends pas.
- Sais-tu combien de personne viennent me voir pour me proposer d’attaquer Marcus juste parce qu’ils savent que je suis meilleur que lui ? J’ai passé des années à me faire des ennemis et imagine si mes ennemis proposaient la même chose à Marcus. Il se laisserait peut-être tenté par leurs propositions. Quand tu as des ennemis le mieux c’est qu’on te craigne.
- Comment t’es-tu fais autant d’ennemis ?
- A chaque pari remporté, chaque combat ou chaque course gagné, on se fait un nouvel ennemi. C’est comme ça la vie, rien qu’en souriant, tu pourrais frustrer quelqu’un. Je ne parle pas au hasard, je me suis déjà fait agresser plus d’une fois. S’ils ont arrêté c’est parce-que je me suis bien défendu jusque-là.
- Pourrais-je venir avec toi au club ?
- Il n’y a pas que moi là-bas, il y a mes amis et aussi des gens qui ne m’aiment pas beaucoup. Je ne voudrais pas qu’ils portent leur regard sur toi. S’ils réalisent que tu es mon talon d’Achille,
- Comme ça je suis ton talon d’Achille ! Se réjouît Yamina avec un sourire flatté et séduisant.
- Mon gros talent d’Achille, répéta Tiago en se prêtant au petit jeu de séduction de Yamina.
- Je ne te crois pas.
- Je pourrais te le prouver, là maintenant.
- Ne t’emballe pas, j’ai vraiment faim. Je préfère terminer mon petit-déjeuner et aller prendre une douche.
- Je pourrais venir la prendre avec toi.
- Je ne sais pas.
- Ne fais pas la difficile.
- Je te laisserai venir si toi tu me laisses venir à l’entrainement avec toi, tu pourrais m’apprendre quelques techniques de self-défense.
- N’insiste pas.
- Chéri, désormais tes ennemis sont les miens et tes problèmes aussi. Ce serait d’ailleurs bien si tu me les montre. De toute façon tu ne pourras pas me cacher très longtemps. En plus c’est la condition si tu veux partager la douche avec moi.
- Je te rappelle que c’est ma douche, rigola Tiago.
- Oui mais sans moi à l’intérieur l’eau sera moins bonne.
- Comment résister à une telle offre ? C’est le genre de chantage qui marche à tous les coups.
Yamina avait convaincu Tiago et après une douche chaude, elle grimpa sur sa moto et ils partirent pour le club.