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Episode 1

La fête de la lumière

Le village de Kana n’avait jamais été aussi bruyant et aussi éclairé. Les enfants couraient dans tous les sens et ne s’inquiétaient plus du noir. Cette nuit, la petite population de Kana célébrait l’arrivée de l’électricité dans le village. Ce village lointain et isolé qui avait longtemps vécu dans la précarité commençait désormais à faire ses premiers pas dans la civilisation. De leur terre avait été élu un nouveau maire, un digne fils du village qui comptait bien faire bouger les choses. Sévérin avait eu la chance de quitter le village très jeune et de faire ses études à la capitale. Loin d’oublier ses origines, il était revenu dans son village natal des années plus tard pour bénéficier du soutien des populations de Kana et des villages voisins pour se faire élire maire de la Commune de Bonou à vingt-six ans. Sa première action avait été de faire bénéficier de l’électricité à ce village qui depuis son existence avait vécu dans le noir. Il avait aussi construit une magnifique maison à ses parents au sein du village. Sévérin avait toujours été un jeune homme humble et respectueux. Les ainés du village le voyaient surtout comme un modèle car après toutes les années passées à la capitale, il n’avait pas tourné dos aux traditions. Sa famille était très conservatrice et il ne faisait pas exception. Désormais arrivé à une grande étape de sa vie, il trouvait juste de penser à fonder sa propre famille. Normalement, Sévérin se serait laissé choisir une fiancée par ses parents comme l’exigeaient les coutumes du village mais depuis son retour, son regard ne quittait pas la jeune fille de l’éleveur Samou qui venait à peine d’atteindre l’âge adulte. Théora était l’une des rares jeunes filles encore célibataires à dix-huit ans dans ce village. La plupart du temps, les parents donnaient en mariage leur fille à quatorze ou seize ans. Selon eux cette pratique aidait à préserver les jeunes filles des impuretés que pouvaient provoquer les relations intimes avant le mariage. L’histoire d’amour entre Sévérin et Théora durait déjà près d’un an et Sévérin comptait bien emmener cette relation au mariage avant que de sombres rumeurs ne viennent perturber leur histoire et salir la réputation d’une fille aussi correcte que Théora.

Alors que tout le monde était occupé à admirer l’œuvre du jeune maire et à danser sous une autre lumière que celle de la lune, Sévérin discutait avec sa bienaimée sous le grand baobab derrière la maison de cette dernière.

-        On ne peut pas continuer à se voir en cachette, affirmait la jeune fille en surveillant les alentours. Si les gens nous voyaient, mes parents n’auront plus aucune confiance en moi et ils m’obligeront à me marier. Je ne vais pas réussir à les persuader d’attendre plus longtemps avant de me choisir un fiancé.

-        Tu te rends compte que nous vivons comme au XVe siècle ? Répondit Sévérin, laissant parlé l’homme moderne en lui. J’ai vécu des années à la capitale et crois-moi les choses sont bien différentes.

-        Les coutumes sont les coutumes Sévérin et si nous ne les respectons pas, nous perdrons plus que nous ne gagnerons. Tu imagines si ma famille venait à me renier ? Pire encore, si on me donne mauvaise réputation. C’est pourtant ma seule richesse dans ce monde.

-        Tu sais très bien que j’ai toujours été attaché à nos traditions, je ne ferai jamais rien qui puisse te mettre dans une mauvaise posture. La tentation dans les grandes villes est tellement forte mais je me suis toujours préservé, je n’ai pas suivi la masse comme un mouton qui suit le troupeau. Je suis resté attaché à mes origines. La preuve est que j’ai parlé de nous à mes parents et dès demain ils iront demander ta main à ton père. Tu ne sais pas comme je meurs d’envie de te toucher, de te prendre dans mes bras et de faire de toi la femme la plus heureuse au monde.

-        Tu ne me croiras peut-être pas mais mon impatience est plus grande que la tienne. Mon cœur bat si fort et mes mains tremblent à chaque fois que je te vois. Contrairement aux autres filles du village j’ai beaucoup de chance d’avoir pu rencontrer une personne comme toi. J’ai eu la chance d’être amoureuse et si tout se passe bien je serai l’une des rares à me marier avec l’homme que mon cœur aura choisi.

-        Que ferons-nous si jamais tes parents avaient en tête un autre fiancé pour toi, s’ils me rejetaient. Te rends-tu comptes que choisir ton fiancé est ton droit ? Je vais tout changer ici, nos coutumes sont bien veilles.

-        Ne t’oppose pas aux traditions pour moi. Peu à peu je sais que tu arriveras à faire avancer les choses. Tu en as le pouvoir. Quoi qu’il en soit, mes parents ne te rejetteront pas. Tout le monde t’aime dans ce village et mon père en premier. Il ne cesse de parler de toi comme la fierté de ce village. En plus tu as un avantage, tu es le maire.

-        Demain c’est dimanche, je vais insister pour que mes parents parlent aux tiens avant mon départ pour le travail lundi. Comme ça si tout va bien le week-end prochain nous serons fiancés.

-        Tu dois y aller maintenant, je vois des gens qui se rapprochent.

-        Laisse-moi au moins t’embrasser la main mon amour, te voir si près et ne pas pouvoir te toucher est une torture.

-        Non Sévérin non, quelqu’un pourrait nous voir. Tu es d’ailleurs trop près de moi, recule donc un peu.

-        Tu as trop peur du qu’en diras-t-on.

-        Dans ce genre d’histoire les femmes ont beaucoup plus à perdre que les hommes tu ne crois pas ? Toi tu as bien le droit de faire ce que tu veux sans te soucier de rien. Même si aujourd’hui tu mettais une femme enceinte tu pourras en épouser une autre sans problème mais moi si on te voyait juste me toucher la main, plus personne ne voudra de moi.

-        Moi je voudrai de toi et ça toute ma vie. Ce n’est pas que ta beauté qui m’attire chez toi, c’est surtout ton innocence et ta sincérité.

-        Vous êtes très convaincant monsieur le maire, je comprends pourquoi vous avez été élu sans problème.

-        Arrête donc de me taquiner. Je vais me rendre à la place publique pour la fête. Les gens vont dormir tard ce soir. Tu devrais venir aussi. On pourrait se voir là-bas, encore une fois.

-        Mes parents ne voudront jamais.

-        Tu es très intelligente, tu vas réussir à les convaincre j’en suis sûr. Il faut que j’y aille, je vois des gens qui viennent vers nous.

Sévérin s’éloigna très vite et Théora regagna discrètement sa maison. Son père était sorti et sa mère servait le diner. Quant à son frère ainé, il s’était enfermé dans la chambre avec son épouse. Théora avait remarqué que personne chez elle n’avait l’intention de se rendre à la fête de la lumière alors elle comprit qu’elle aurait du mal à les persuader de la laisser s’y rendre. Alors qu’elle tentait de convaincre sa mère par tous les moyens, son père arriva et elle courut lui servir de l’eau.

-        Que veux-tu aller faire là-bas ? Lui demanda son père après qu’elle lui ait demandé ce qu’elle demandait à sa mère depuis de longues minutes.

-        Tout le village est là-bas papa, prononça-t-elle  de sa plus douce voix. J’ai aussi envie de voir les gens danser et de profiter de l’éclat du grand lampadaire de la place publique. Ne me dis pas non papa.

-        Ton frère ne veut pas y aller et moi non plus. On ne peut pas te laisser y aller toute seule, ce serait imprudent.

-        Tu n’as donc plus confiance en moi ?

-        Tu sais que j’aurai toujours confiance en toi mon enfant mais il y a beaucoup de monde là-bas et des inconnus pourraient t’approcher, te toucher ou te manquer de respect.

-        Quand il faut m’envoyer chercher des feuilles la nuit il n’y aucun risque mais quand il s’agit d’une petite fête de rien du tout vous refusez.

-        Fais attention à ce qui sort de ta bouche, menaça la mère de Théora rangeant encore ses casseroles. Ne confonds pas notre sympathie envers toi à de la faiblesse. Tu vas beaucoup trop loin. Ici c’est nous qui décidons, tu me comprends ?

-        Ce que je vois c’est qu’il n’y a pas que ma fille qui se croit tout permis dans cette maison, s’énerva le vieux Samou. De quel droit toi une femme tu oses prendre des décisions en présence de ton époux ? Pour quelle raison donnes-tu ton avis alors que je suis là ?

-        Pardon cher époux, je voulais juste lui expliquer qu’elle ne pouvait pas y aller.

-        Et pourquoi ça ? Parce-que tu l’as décidé ? Elle ira à cette fête voilà. Va donc ma fille, va t’amuser mais ne rentre pas tard.

-        Merci papa.

-        Surtout ne deviens pas comme ta mère plus tard. Quand tu auras un mari, évite de l’interrompre quand il parle. Une bonne femme c’est une femme qui sait reconnaitre sa place et ses limites.

-        Oui papa.

Folle de joie, Théora prit la direction de la place publique en fredonnant une vieille chanson en sa langue maternelle. Sa maison était un peu loin de la place publique et elle devait traverser toute une zone obscure et un champ de mil avant d’arriver à destination. Elle avait en main une petite lampe pour éclairer sa route. Quand elle arriva au milieu du champ de mil, elle entendit des pas et elle paniqua.

-        Qui est là ? Interrogea-t-elle en tournant sur elle-même pour inspecter les lieux.

-        Ce n’est que moi, répondit l’homme qu’elle trouva à quelques mètres derrière elle. Tu vas à la fête ? Ça tombe bien, c’est là que je me rends aussi.

-        Passez donc devant.

-        De quoi as-tu peur ? Tu me prends pour un voyou ? Tu penses que je vais te faire du mal.

-        Non je n’ai jamais dit ça, je vous connais en plus, vous êtes monsieur Kévin, le jardinier.

-        Je te reconnais aussi, c’est toi la fille de Samou, celle qui ne veut pas se marier. Tu savais que j’ai demandé ta main à ton père et qu’il m’a dit non ?

-        Je n’en savais rien.

-        Il a dit que je n’étais pas assez bien pour toi, qu’il voulait mieux pour son enfant. Tu arrives à le croire toi ? Il pense qu’il vaut mieux que moi.

-        Excusez-moi mais ces histoires ne me concernent pas. Comme je vous l’ai dit je n’en savais rien.

-        Tu es aussi insolente que ton père. Comme on dit la pomme ne tombe jamais loin de l’arbre. Ton père va regretter de m’avoir traité comme un moins que rien. Je te promets qu’il va ramper à mes pieds comme un vulgaire serpent quand j’en aurai fini avec toi.

Après avoir entendu cette phrase, Théora voulut courir pour quitter les champs mais l’homme l’attrapa et la jeta au sol.

-        Je vous en prie ne me faites pas de mal, suppliait-elle sans se faire écouter par cet homme qui ne cherchait qu’à abuser d’elle.

Après avoir fait ce qu’il avait à faire, Kévin le jardinier abandonna la jeune fille inconsciente dans les champs pour rejoindre la fête.

Sévérin avait attendu l’arrivée de Théora en vain. Il conclut qu’elle n’avait sans doute pas réussi à convaincre ses parents de la laisser venir.

Théora était rentrée chez elle très tard. Quand son père la vit revenir, il fut choqué de la voir dans un sale état. Elle avait sa robe toute sale et des larmes aux yeux.

-        Que s’est-il passé ? S’empressa de demande Samou à sa fille.

-        Je suis tombée dans les champs, inventa-t-elle essayant au mieux de retenir ses larmes.

-        Tu es tombée ? C’est grave ?

-        Non papa.

-        Mais tu as du sang sur tes vêtements et tu pleures, ne me dis donc pas que ce n’est pas grave. Il s’est passé quoi Théora ?

-        Papa j’ai cassé ta lampe, s’excusa-t-elle en fondant en larmes. Je suis désolée, je ne voulais pas. Tu sais très bien que je n’ai jamais voulu te décevoir. Tu dois me croire je t’en supplie.

-        Mais mon enfant, il ne sert à rien de te mettre dans de tels états pour une lampe ! Que tu ailles bien c’est le plus important. Tu peux casser tout ce que tu veux, c’est pour ça je m’efforce à choisir le meilleur parti pour toi. Je veux que tu ne manques de rien et surtout que tu puisses m’acheter avec le temps tout ce que tu gâtes dans ma maison.

-        Merci papa.

-        Comment t’es-tu blessée ?

-        Ça c’est rien de grave, un morceau de verre m’a coupé mais je t’assure que ça va.

-        Tu me sembles toute pale.

-        Je suis fatiguée, je vais aller me nettoyer et dormir si tu permets papa.

-        Oui, vas donc te reposer. Que les dieux veillent sur toi mon enfant.

Théora rejoignit très vite la chambre après avoir fait un tour sous la douche. Elle s’était frottée le corps de toutes ses forces et avait ensuite jeté sa robe dans le tas d’ordures derrière la maison.

Au petit matin, des voix qu’elle entendit dehors la réveillèrent. Elle avait dormi jusqu’à midi sans s’en rendre compte. Son père avait demandé qu’on ne la réveille pas pour qu’elle récupère de son petit accident de la veille. Elle s’était réveillée avec une forte migraine alors elle ne quitta pas son lit. Elle reconnut tout de même la voix du vieux Sambo, le père de Sévérin.

-        Etes-vous sûr de ce que vous dites ? S’étonnait le père de Théora assis sous son manguier avec ses invités.

-        Nous n’avons jamais été si surs de nous, répondit Le vieux Sambo. Nous voulons la main de votre fille pour notre fils Sévérin.

-        Tu entends ça Awa ? Adressa Samou à sa femme. Le maire va épouser notre enfant. Qu’ai-je fait aux dieux pour qu’ils me récompensent aussi intensément ?

-        Nous sommes persuadé que c’est aussi une chance pour notre fils d’avoir comme fiancée une fille aussi belle que la vôtre. Si vous êtes d’accord nous allons tout de suite annoncer la bonne nouvelle à notre fils.

-        Comment dire non à une telle demande ? Soyez rassurez, votre fils est celui qui obtiendra la main de ma fille. Je savais que la préserver aussi longtemps porterait ses fruits.

-        Dans ce cas nous reviendrons dans trente jours avec la dot. Il ne servirait à rien d’attendre plus longtemps. Qu’en pensez-vous ?

-        Aucune parole fausse ne sortirait de la bouche d’un sage et vous mon cher Sambo, vous êtes l’homme le plus sage que je connaisse après le roi de ce village.

La bonne nouvelle ne tarda pas à parvenir aux oreilles de Sévérin qui put enfin partir toute la semaine pour son travail. Un voyage d’un mois s’imposa ensuite à lui et il s’excusa de devoir manquer la remise de dot.

Plus les jours passaient plus l’enfer se rapprochait de la jeune Théora. Entre les vertiges et les nausées, il ne fallut que peu de temps à ses parents pour la soupçonner d’être enceinte. Elle avait nié à chaque fois que ses parents lui avaient posé la question et avait juré être aussi pure qu’au jour de sa naissance. Elle avait peur de ce qui pourrait arriver car même si elle voulait bien avouer ce dont elle fut victime, elle savait que dans ce village, sa parole ne vaudrait pas grand-chose face à celle d’un homme. Elle était d’ailleurs persuadée qu’on ne la laisserait pas dire un seul mot si elle avouait avoir été touchée par un homme qui n’est pas son mari.

Un matin alors qu’elle venait juste de vomir devant son repas, son père exigea à ce qu’on l’emmène voir le médecin du village. Avec sa mère, elles s’étaient donc rendues chez le médecin pour faire un test de grossesse. Toutes les deux déjà persuadées du résultat qui leur sera montré espéraient tout de même un miracle. Quand le médecin arriva avec le résultat, le cœur de Théora se mit à battre à toute vitesse.

Le test est positif, annonça le médecin, vous êtes bien enceinte.

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